La parole mawon : Konpè Lapen comme paradigme d’une esthétique de résistance

La parole mawon : Konpè Lapen comme paradigme d’une esthétique créole de résistance L’obscurité s’épaissit. Des corps se pressent en cercle, respirations suspendues. Une voix s’élève : « Yé krik ! » La réponse fuse : « Yé krak ! ».Avec cette formule magique commence le cinéma le plus ancien de l’espace kréyolphone. Un cinéma sans caméra, sans écran, un cinéma dont les images se projettent directement dans l’imaginaire collectif. Un cinéma dont l’acteur principal, depuis des générations, demeure Konpè Lapen. Le premier cinéaste créole Si l’on définit le cinéma non par sa technologie mais par sa fonction – créer des mondes, projeter des séquences visuelles partagées, orchestrer des émotions collectives – alors le conteur créole traditionnel est notre premier cinéaste. Il manipule le montage (enchaînement des péripéties), le cadrage (focus sur certains détails), la bande-son (onomatopées, rythmes, silences) et la performance (gestuelle, modulations vocales). Sa toile est l’imagination de son auditoire ; sa caméra, la parole versatile. Dans cette cinématographie orale, Konpè Lapen, à la fois acteur, scénariste et metteur en scène, occupe une place comparable aux grandes figures du cinéma mondial. Star incontestée des nuits caribéennes, son nom seul suffit à rassembler un public avide d’aventures. Mais contrairement aux protagonistes du cinéma dominant, sa force réside paradoxalement dans sa vulnérabilité. Petit, faible, sans défense apparente face aux puissants prédateurs qui l’entourent, il incarne une résistance qui ne peut s’exprimer par la confrontation directe mais qui doit emprunter les voies du détour, de la ruse, de la manipulation stratégique. Faut-il y voir un hasard si ce personnage a émergé précisément dans le contexte de la plantation esclavagiste, système où toute résistance frontale était brutalement réprimée?Konpè Lapen est né de cette nécessité : montrer comment survivre et même triompher quand on est structurellement privé de pouvoir. Ses victoires répétées sur Konpè Tig ou Konpè Léfan constituaient ainsi des scénarios de résistance offerts aux opprimés, non comme incitation directe à l’action mais comme laboratoire où explorer les possibilités de subversion des rapports de force. Mawonnaj narratif : la politique du détour Décrypter le rôle politique de Konpè Lapen nécessite de comprendre ce que j’appelle le « mawonnaj narratif ». Le terme mawonnaj (marronnage) désigne initialement la fuite des esclaves vers les mornes et forêts inaccessibles. Par extension, j’utilise ce concept pour qualifier cette stratégie narrative qui, par le détour de la fable animalière, élabore un discours critique camouflé. Le mawonnaj narratif opère à plusieurs niveaux : La dilution contemporaine : un cinéma orphelin de son scénario Aujourd’hui, une inquiétante transformation s’opère. Konpè Lapen, ce personnage multiséculaire forgé dans le creuset des résistances créoles, se trouve progressivement réduit à une figure folklorique inoffensive. Les versions contemporaines destinées aux jeunes publics conservent l’enveloppe narrative (un lapin rusé qui joue des tours) mais évacuent la substantifique moelle politique. Le processus de dilution prend plusieurs formes : La bonne volonté ne suffit pas ; encore faut-il accéder à la connaissance authentique de ces récits dans toute leur profondeur. Cette connaissance réside chez les Anciens, détenteurs d’une mémoire non pas fossilisée mais vivante, capables encore de percevoir dans ces contes leur dimension cathartique et politique. Notre responsabilité est de créer des ponts entre ces gardiens de la tradition et les nouvelles formes d’expression contemporaines. Karibo-futurisme : quand Konpè Lapen conquiert de nouveaux territoires Face à cette dilution, ma démarche artistique propose une voie alternative que je conceptualise comme le « karibo-futurisme ». Une approche esthétique et politique qui projette les figures, mythes et sensibilités caribéennes dans des espaces-temps dont elles ont été historiquement exclues et qui crée ainsi des uchronies visuelles qui décolonisent l’imaginaire. Ma collection « Konpè Lapen Parisien : Chroniques de la Belle Époque » constitue une manifestation concrète de cette approche. En transposant cette figure emblématique de l’oralité créole au cœur du Paris fin-de-siècle, je pratique ce que j’appelle une « réappropriation spéculative ». Un processus par lequel les symboles culturels marginalisés investissent les centres du pouvoir, non en position subalterne mais en conquérants élégants. Cette démarche karibo-futuriste n’est pas une simple fantaisie esthétique. Elle est une intervention politique dans le champ des représentations. En montrant Konpè Lapen vêtu des plus élégantes tenues parisiennes, déambulant avec assurance devant la Tour Eiffel ou trônant sur les podiums de la haute couture, je réalise cette opération qu’Édouard Glissant appelait « forcer la vision », imposer dans le champ visuel des présences que l’histoire officielle a systématiquement effacées. Le karibo-futurisme retourne ainsi la logique coloniale de l’exclusion spatiale et temporelle. Si les cultures créoles ont été reléguées aux marges géographiques (les îles, périphéries des empires) et temporelles (sociétés présentées comme « en retard »), cette approche les propulse au centre géographique du pouvoir colonial et dans une temporalité qui leur était interdite.Konpè Lapen n’est plus confiné aux mornes et aux forêts des contes traditionnels ; il arpente désormais les boulevards haussmanniens, le cœur même de la capitale impériale, avec l’assurance tranquille du conquérant. Kreyollywood : un écosystème pour le cinéma créole Cette réappropriation spéculative trouve son prolongement naturel dans mon concept de « Kreyollywood », un écosystème cinématographique centré sur les langues et esthétiques créoles. Tout comme Hollywood a créé les structures permettant l’émergence et la diffusion globale d’un certain cinéma américain, Kreyollywood vise à développer l’infrastructure matérielle, critique et théorique nécessaire à l’épanouissement d’un cinéma authentiquement créole. Ma thèse sur l’émergence d’une Nouvelle Vague créole dans le cinéma contemporain s’inscrit dans cette vision. Elle identifie le « réel magique » comme fil conducteur reliant le cinéma oral traditionnel aux expressions filmiques actuelles, comme capacité à intégrer naturellement l’extraordinaire dans le quotidien sans rupture ontologique.Dans les contes de Konpè Lapen, les animaux parlent sans que cela constitue une transgression des lois naturelles ; de même, le cinéma de la Nouvelle Vague créole incorpore des éléments surnaturels comme composantes organiques d’une réalité sociale complexe. Le lien entre le conte traditionnel et ces nouvelles expressions cinématographiques n’est donc pas artificiel ou forcé ; il révèle une continuité épistémologique profonde, une manière spécifiquement créole d’appréhender, de représenter et
Du Conte au couturier. La métamorphose parisienne de Konpè Lapen

Au sein de la collection « Konpè Lapin Parisien : Chroniques de la Belle Époque », la série « Fashion Show » représente une incursion audacieuse dans l’univers de la haute couture parisienne de la fin du XIXe siècle. Cette série transforme notre protagoniste créole en véritable icône de style, naviguant avec assurance au cœur des défilés et des présentations de mode qui ont contribué à établir Paris comme capitale mondiale de l’élégance..
Du Conte à la terrasse : les métamorphoses sociales de Konpè Lapen

ette collection explore une facette inédite de notre héros malicieux : sa vie sociale. Car si Konpè Lapin est un personnage emblématique des contes créoles, une question demeure : qui sont ses compagnons de route ? A-t-il une famille, des amis, des relations ?
Métamorphoses et Parole de nuit

Métamorphoses et parole de nuit collection métamorphoses La collection « Métamorphoses » s’enracine dans une tradition séculaire de l’espace kréyolphone : celle de la « Parole de nuit ». Dans les sociétés créoles, les contes – véritables vecteurs de sagesse, de résistance et de mémoire collective – ne se dévoilent qu’après le coucher du soleil. Cette restriction temporelle n’est pas anodine : la nuit représente un espace-temps sacré où les frontières entre visible et invisible s’estompent, où les esprits circulent librement, où la parole acquiert une puissance rituelle. De la Parole de nuit aux lumières parisiennes Parole de nuit avec Konpè lapen. @Alexia de Saint John’s Parole de nuit Konpè Lapen, figure emblématique de ces récits nocturnes, incarne à la fois la ruse du faible face au fort et l’intelligence adaptative nécessaire à la survie. Traditionnellement, ce personnage n’existe que dans l’obscurité du conte, sa silhouette dessinée uniquement par la voix du conteur et l’imagination des auditeurs rassemblés en cercle. Ma démarche artistique opère une double transgression créatrice : d’abord en donnant forme visible à ce héros de l’oralité, puis en le transportant dans la lumière éclatante des terrasses parisiennes de la Belle Époque. Ce passage de l’ombre à la lumière, de l’invisibilité à la représentation, symbolise l’émergence des cultures créoles sur la scène mondiale et leur capacité à se réinventer tout en préservant leur essence. Ombre et lumière Les cafés parisiens, lieux d’échange intellectuel et de visibilité sociale par excellence, deviennent ainsi le théâtre d’une métamorphose : celle d’un personnage nocturne qui conquiert l’espace diurne sans perdre son mystère. La multiplicité des Konpè Lapen dans mes compositions évoque tant la diversité des versions du conte à travers l’espace kréyolphone que la nature insaisissable d’un héros qui, même exposé à la lumière, conserve sa part d’ombre. En transposant la « Parole de nuit » dans l’éclatante sociabilité parisienne, ces œuvres interrogent la transmission de notre patrimoine immatériel : comment nos récits ancestraux peuvent-ils voyager à travers le temps et l’espace sans se dénaturer ? Comment l’identité créole peut-elle s’affirmer dans sa spécificité tout en dialoguant avec d’autres univers culturels ? Cette collection invite ainsi à un voyage entre deux mondes : celui des veillées nocturnes où naissent les contes et celui des cafés ensoleillés où ils se réinventent, entre le mystère de la nuit créole et l’éclat des lumières parisiennes, entre la sagesse ancestrale de Konpè Lapen et ses métamorphoses contemporaines. Portfolios Articles La parole mawon : Konpè Lapen comme paradigme d’une esthétique de résistance De Saint John ‘s La parole mawon : Konpè Lapen comme paradigme d’une esthétique créole de résistance L’obscurité s’épaissit. Des corps se pressent en cercle, respirations suspendues. Une voix… Lire plus Du Conte au couturier. La métamorphose parisienne de Konpè Lapen De Saint John ‘s Au sein de la collection « Konpè Lapin Parisien : Chroniques de la Belle Époque », la série « Fashion Show » représente une incursion audacieuse dans l’univers de… Lire plus Du Conte à la terrasse : les métamorphoses sociales de Konpè Lapen De Saint John ‘s ette collection explore une facette inédite de notre héros malicieux : sa vie sociale. Car si Konpè Lapin est un personnage emblématique des contes créoles,… Lire plus Konpe Lapin Parisien : Chroniques de la Belle epoque De Saint John ‘s Métamorphoses et parole de nuit collection métamorphoses La collection « Métamorphoses » s’enracine dans une tradition séculaire de l’espace kréyolphone : celle de la « Parole de nuit »…. Lire plus Lire plus
Métamorphoses créoles : Konpè Lapen réinventé à travers l’art numérique

Au cœur des contes créoles se dresse une figure emblématique : Konpè Lapin.
Ce personnage malicieux et toujours victorieux incarne l’intelligence et la résistance face à l’adversité. Transmis de génération en génération à travers l’oralité créole, ce héros aux mille tours a su déjouer les pièges des plus redoutables adversaires
La première affiche du Kreyol international Film Festival

C’est avec beaucoup d’émotion que nous vous présentons l’affiche réalisée par notre présidente, Alexia de Saint John’s, pour cette première édition du Kreyol International Film festival (KIFF 2023).