Karibo Futurisme

Entre les ruelles de la Martinique et les boulevards haussmanniens, entre le créole murmuré des veillées et le français châtié des salons littéraires, un personnage inattendu se glisse dans le Paris de la Belle Époque.

Une vision karibo-futuriste de la Belle Epoque

Konpè Lapen Parisien : Karibo-futurisme ou Chroniques de la Belle Époque

Entre les ruelles de la Martinique et les boulevards haussmanniens, entre le créole murmuré des veillées et le français châtié des salons littéraires, un personnage inattendu se glisse dans le Paris de la Belle Époque. Konpè Lapen, figure emblématique des contes antillais, arpente désormais les pavés de la capitale française, vêtu d’élégants costumes, observant ce monde nouveau avec la même intelligence rusée qui lui permettait autrefois de triompher de Konpè Tig.

Konpè Lapin. Paris. Belle Epoque. Collection Eiffel Tower. red2 @Alexa de Saint John's
Konpè Lapin. Paris. Belle Epoque. Collection Eiffel Tower. red2 @Alexa de Saint John's

Les collections

La collection « Konpè Lapen parisien : Chroniques de la Belle Époque » constitue une exploration Karibo-futuriste (les peuples autochtone des Caraïbes sont des Karibs) de cette rencontre improbable entre un héros de l’oralité créole et l’univers parisien de la fin du XIXe siècle.
Par karibo-futurisme, j’entends cette démarche esthétique et conceptuelle qui projette les figures, les mythes et les sensibilités caribéennes dans des temporalités et des espaces dont ils ont été historiquement exclus et qui crée ainsi des uchronies visuelles qui décolonisent l’imaginaire collectif.

Cette collection constitue un chapitre particulier de cette réinterprétation du héros des contes créoles. Elle transpose Konpè Lapen dans l’univers sophistiqué du Paris de la fin du XIXe et début du XXe siècle et crée ainsi un pont symbolique entre les cultures.
Cette série d’œuvres explore l’idée d’un Konpè Lapen voyageur, émissaire de la sagesse créole dans les grands centres culturels européens pendant cette période d’effervescence artistique et culturelle.

À l’instar de « Kreyollywood » – concept que j’ai forgé afin de désigner un écosystème cinématographique centré sur les langues et esthétiques créoles – cette approche karibo-futuriste ne se contente pas de revisiter le passé ; elle réinvente activement les possibles historiques en infiltrant la figure de Konpè Lapen dans les hauts lieux de la culture dominante, transformant ainsi le Paris de la Belle Époque en un espace de ré-imagination radicale des relations entre centre et périphérie.

Le flâneur de Paris

Konpè Lapen. Paris. Belle époque. n1 @Alexia de Saint John's
Konpè Lapen. Paris. Belle époque. n1 @Alexia de Saint John's

La première œuvre de cette collection présente Konpè Lapen dans toute sa splendeur parisienne Belle Époque. Vêtu d’une veste rouge bordeaux structurée et d’un pantalon rayé jaune éclatant évoquant les créations audacieuses de Thierry Mugler, notre protagoniste se tient avec assurance devant la Tour Eiffel. Sa longue cape aux couleurs cendrées, tombant jusqu’au sol avec une élégance théâtrale, flotte délicatement dans l’air parisien.

La composition joue sur les contrastes : le ciel dramatique aux nuances de gris et d’or encadre la silhouette sombre et élancée du lapin anthropomorphe. Sa posture – droite, canne à la main, pipe au bec – évoque celle d’un dandy de la Belle Époque ayant conquis les salons de la haute société parisienne. Dans une subtile harmonie chromatique, le nœud papillon doré fait écho aux lueurs du ciel.

Cette création qui dégage une atmosphère à la fois sophistiquée et mystérieuse est plus qu’un simple portrait : elle incarne la rencontre entre deux mondes. L’esprit rusé de Konpè Lapen, né dans les plantations caribéennes comme figure de résistance et d’adaptation, s’approprie ici les codes de l’élégance européenne de la Belle Époque tout en conservant son identité distinctive. 

Le cadre parisien crépusculaire, entre jour et nuit, symbolise à la fois la ville et cette transition entre deux univers culturels.

D’autres œuvres de cette collection montrent Konpè Lapen dans différents contextes emblématiques de la Belle Époque : attablé à un café de Montmartre fréquenté par les artistes de l’époque ou personnifiant un défilé de mode de rue.
Chaque tableau explore une facette différente de cette appropriation de l’espace et du temps parisien de la Belle Époque par notre héros créole.

Ma démarche

Konpè Lapen. Café en terrasses Montmartre. @Alexia de Saint John'sn14
Konpè Lapen. Café en terrasses Montmartre. n14 @Alexia de Saint John's

Ma démarche s’inscrit dans une relecture postcoloniale de l’histoire culturelle où les figures issues des marges de l’empire colonial français s’approprient les codes esthétiques du centre tout en les transformant par leur simple présence.
Konpè Lapen, avec sa malice légendaire et sa capacité à retourner les situations à son avantage, devient ainsi le protagoniste idéal de cette entreprise de décentrement du regard.

La Belle Époque, période charnière où Paris rayonnait comme capitale mondiale des arts et de la culture tout en bénéficiant de l’exploitation des colonies, offre un cadre historique particulièrement significatif pour cette exploration karibo-futuriste. Le contraste entre l’élégance raffinée des boulevards parisiens et la violence sous-jacente du système colonial trouve un écho visuel dans ces représentations où la figure animale anthropomorphisée de Konpè Lapen, à la fois familière et irréductiblement autre, s’approprie les codes du dandysme parisien.

Cette collection se déploie actuellement en plusieurs séries distinctes mais interconnectées, chacune explorant un aspect différent de cette présence créole réinventée dans le Paris de la Belle Époque:

La collection Fashion Show

« Fashion Show » explore la relation entre Konpè Lapen et la haute couture parisienne, le transformant en mannequin et créateur de tendances dont les tenues audacieuses aux couleurs éclatantes – pourpres, dorées, écarlates – réinventent les codes vestimentaires masculins de l’époque. Ce détournement caraïbo-futuriste de l’univers de la mode s’inspire tant des archives historiques que des créations avant-gardistes contemporaines et crée ainsi une temporalité fluide où passé, présent et futurs possibles se télescopent.

La collection Terrasses de Montmartre

« Terrasses de Montmartre » situe notre protagoniste dans l’espace social emblématique des cafés parisiens, lieu privilégié de la sociabilité intellectuelle et artistique, où sa présence solitaire ou ses interactions avec d’autres figures anthropomorphes créent des scènes d’une étrange familiarité. Ces compositions, ré-imaginant les socialités créoles au cœur de Paris questionnent les exclusions historiques tout en célébrant la puissance de l’imaginaire caribéen à transcender les frontières imposées.

Konpè Lapen. Paris. Belle Epoque Terrasses Montmartre. n 2 @Alexia de Saint John's
Konpè Lapen. Paris. Belle Epoque Terrasses Montmartre. n 2 @Alexia de Saint John's

Réappropriation spéculative

Au-delà de la dimension esthétique, cette collection constitue une manifestation concrète de ce que j’appelle la « réappropriation spéculative » – processus par lequel les récits, personnages et symboles issus des cultures minorées investissent les espaces dont ils ont été historiquement exclus, non pas en mode mineur ou en demandant permission, mais en revendiquant pleinement leur légitimité à y figurer.
Konpè Lapen ne s’excuse pas d’être à Paris ; il y règne, avec l’assurance tranquille d’un dandy qui connaît sa valeur.

Issue moi-même de cet espace kréyolphone riche en traditions orales, j’utilise paradoxalement les technologies visuelles contemporaines afin de donner forme à un personnage qui n’existait jusqu’alors que dans le souffle de la parole. Cette alliance entre oralité traditionnelle et outils numériques incarne parfaitement la démarche karibo-futuriste qui ne rejette pas la technologie moderne mais se l’approprie afin d’amplifier et de diffuser les imaginaires caribéens.

Lepen Belle Epoque? The super. n 6 @Alexia de Saint John's

Choix esthétiques

Les choix esthétiques qui unissent ces différentes séries – palette chromatique contrastée, silhouettes élancées aux proportions légèrement irréelles, jeux d’ombres et de lumières créant des atmosphères théâtrales – s’inspirent tant de l’iconographie de la Belle Époque que des créations avant-gardistes de certains couturiers contemporains comme Thierry Mugler . Ils créent ainsi un dialogue visuel entre passé et présent.

Cette fusion temporelle est au cœur de l’approche karibo-futuriste qui refuse la linéarité historique imposée par le récit occidental pour privilégier des temporalités cycliques, spiralées ou fragmentées.

Chaque œuvre de cette collection peut être appréciée isolément pour ses qualités formelles. Mais c’est dans leur ensemble qu’elles révèlent leur pleine signification – comme les différents épisodes d’un même conte qui, mis bout à bout, dessinent une cosmogonie complète.

« Konpè Lapen Parisien : Chroniques de la Belle Époque » raconte ainsi, image après image, l’histoire d’une appropriation culturelle inversée où le personnage issu des marges colonisées s’empare avec élégance des codes du colonisateur pour les subvertir de l’intérieur.

Cette collection, qui s’enrichira progressivement de nouvelles œuvres et de nouvelles séries, invite le spectateur à repenser les hiérarchies culturelles établies et à imaginer d’autres modes de relation entre les différentes traditions qui constituent notre patrimoine mondial.
À travers le regard malicieux de Konpè Lapen, c’est finalement notre rapport même au temps, à l’histoire et aux possibles que le caraïbo-futurisme nous invite à réinventer.

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